De la jeunesse
"Les jeunes gens sont par caractère enclins aux désirs et portés à faire ce qu'ils désirent.
Entre les désirs corporels ils sont surtout asservis à ceux de l'amour, et impuissants à les maîtriser.
Ils
sont changeants et prompts au dégout relativement à leurs désirs, et
autant ces désirs sont véhéments, autant ils sont de courte durée.
Ils sont bouillants, emportés, enclins à suivre leur impulsion.
Ils
aiment les honneurs, mais plus encore la victoire; car la jeunesse
désire la supériorité, et la victoire est une superiorité.
Ils n'ont pas mauvais, mais bon caractère, parce qu'ils n'ont pas encore observé beaucoup de traits de perversité.
Ils
sont confiants, parce qu'ils n'ont pas encore été beaucoup trompés;
comme les gens pris de vin, ils ont une chaleur qui vient de la nature;
c'est en même temps qu'ils n'ont pas subi beaucoup d'échecs.
Ils sont faciles à tromper, car ils espèrent facilement.
Ils
sont plus courageux que les autres âges; car ils sont emportés et
ont l'espoir facile : l'emportement leur ôte la crainte; l'espoir leur
donne la confiance; car personne ne craint dans la colère, et espérer
quelque bien inspire la confiance.
Ils pèchent toujours par
exégération et trop de véhémence, car ils font tout avec excès : ils
aiment avec excès, haïssent à l'excès, et ainsi du reste.
Ils croient tout savoir et affirment avec obstination : c'est la cause de leur excès en tout.
Ils commettent leurs méfaits par démesure et non par méchanceté.
Ils
sont ouverts à la pitié, parce qu'ils s'imaginent que tous les hommes
sont honnêtes et meilleurs qu'en réalité; ils appliquent à tous les
hommes la mesure de leur propre innocence; ils s'imaginent donc que les
souffrances d'autrui sont imméritéés.
Ils aiment le rire et par
conséquent la plaisanterie; la plaisanterie est, en effet, une démesure
tempérée par la bonne éducation."
Aristote, Rhétorique II, 12.